la mise à jour se fait attendre, l’éditeur se fait du blé, et le bibliothécaire se fait avoir (2)

J’ai évoqué dans le billet précédent la confusion qui semble exister chez certains éditeurs entre réédition et réimpression. Dans ces conditions, est-il possible pour nous d’éviter d’acheter à tort certains titres ?

Je laisserai de coté la question de la validité du contenu qui doit être disjointe de ce débat. Car le plus souvent, republier un ouvrage au contenu non actualisé n’a rien de scandaleux. Par exemple, j’ai entre les mains la « 5e édition Quadrige » (1995) du Nouvel esprit scientifique de Bachelard aux PUF. Elle est en tout point identique aux précédentes, mais Bachelard étant mort depuis 1962, ce serait faire preuve de mauvaise foi que de prétendre que les PUF ont cherché à tromper qui que ce soit par cette mention d’édition. D’ailleurs, preuve de leur « innocence », ils ont attribué le même ISBN à la 4e, à la 5e et à la 6e « édition Quadrige »… Autre exemple : un manuel de psychologie dont le contenu date de 2005 reste encore tout à fait utilisable par des étudiants de licence.

Quand ISBN rime avec migraine…

Dans un monde parfait (si tous les éditeurs étaient d’anciens bibliothécaires…), les éditeurs indiqueraient systématiquement sur leurs catalogues, et sur les ouvrages eux-même :

  • « nouveau tirage/réimpression à l’identique de la n-ième édition » pour une réimpression sans aucune modification.
  • « nouveau tirage/réimpression corrigé(e) de la n-ième édition » pour une réimpression avec correction de quelques « coquilles » ne modifiant pas le sens.
  • « nouvelle présentation de la n-ième édition » pour une édition différant par des aspects matériels (pagination, caractères plus gros, dimensions du livre) sans aucun changement du texte
  • « n-ième édition » pour toute modification plus conséquente de l’édition n-1, avec l’adjectif approprié : « remaniée, refondue, mise à jour, complétée… ».

Ils n’attribueraient bien entendu de nouvel ISBN qu’à cette dernière catégorie d’ouvrages, n’associeraient jamais le (c) à une date de réimpression mais à la date du texte original, citeraientt toujours le titre original des textes traduits, ainsi que le premier éditeur, etc…

Or, voici une liste non exhaustive des « surprises » que nous réservent certains ouvrages  :

  • deux dates de copyright pour un texte identique. Par exemple « (c) 1994 pour la première édition ; (c) 2010 pour le présent tirage ».
  • des réimpressions à l’identique qualifiées de « nouvelle (ou N-ième) édition ».
  • des textes remaniés qualifiés de « réimpression » ou « retirage ».
  • une mention « nouvelle édition » reproduite sur chaque retirage, ce qui peut faire croire que le 25e tirage est une 25e édition, alors qu’il ne s’agit que du 24e tirage de la 2e édition.
  • une mention « première édition en 2008 », ce qui peut laisser croire que nous avons en main une édition postérieure.
  • un nouvel ISBN pour une réimpression.

Tout cela est parfaitement légal, les seules obligations s’imposant à l’éditeur étant si je ne me trompe celles qui sont liées au dépôt légal. L’ouvrage doit comporter :

1° Le nom (ou raison sociale) et l’adresse de l’éditeur ;
2° Le nom (ou raison sociale) et l’adresse de l’imprimeur ;
3° La date de l’achèvement du tirage ;
4° La mention de l’ISBN et éventuellement de l’ISSN ;
5° Le prix en francs français ; (hem hem hem, cet arrêté mériterait d’être actualisé)
6° La mention « dépôt légal » suivie du mois et de l’année ;
7° Pour les réimpressions à l’identique, le mois et l’année où elles sont effectuées. (cet arrêté mériterait vraiment d’être actualisé, car depuis 2006, les réimpressions à l’identique ne sont plus soumises au DL)

Le point le plus sensible pour les éditeurs comme pour les bibliothécaire est l’ISBN. Quel que soient le contenu du texte ou les autres mentions (réédition, réimpression…), l’attribution d’un nouvel ISBN va automatiquement propulser le livre dans les « nouveautés » des catalogues d’éditeurs et de libraires, et dans Electre et Livres Hebdo, les outils de base de tout acquéreur en bibliothèque.

Or, si le législateur ne donne pas de précision sur l’ISBN devant figurer sur les livres lors du dépôt légal, ce n’est pas le cas de l’agence internationale qui assure la gestion de ce numéro : elle s’oppose à une l’attribution « marketing » d’un nouvel ISBN sur un retirage : (je traduis)

14. Je révise un livre. A-t-il besoin d’un nouvel ISBN ?
Un changement (substantiel) du texte rend nécessaire un nouvel ISBN, et si les révisions ont eu lieu, le dos de la page de titre devrait (should) signaler que le livre est une édition révisée, et le nouvel ISBN devrait y être imprimé.
15. Une réimpression sans changement du texte ni du type de reliure rend-elle nécessaire un nouvel ISBN ?
Non, le numéro d’origine doit (must) être retenu, du moment que l’éditeur reste le même.
16. Je voudrais attribuer un nouvel ISBN pour des raisons marketing. Est-ce permis?
Non, car aucun changement du texte, du format ou de la reliure ne justifierait un nouvel ISBN

Il ne me semble pas que l’agence française (l’AFNIL) aie modifié ces règles. Les bibliothécaires et/ou les libraires seraient donc  sans doute en droit d’exercer d’humbles remonstrances aux éditeurs pratiquant systématiquement l’attribution de nouvel ISBN lorsque cela ne se justifie pas (ou éventuellement de discuter avec les éditeurs pour établir des critères partagés).

Enfin – tout n’est pas noir – , voici un exemple plutôt réconfortant qui prouve bien qu’il ne faut pas confondre maladresse et malhonnêteté : le verso de la page de titre de cet ouvrage contient une information précieuse, exprimée sans fausse pudeur (« le texte de l’ouvrage reste inchangé »), mais malgré tout l’éditeur (l’AFNOR. no comment…) entretient une certaine confusion entre tirage et édition (le « 2e tirage » de la « 1re édition » est qualifié deux lignes plus bas de « présente édition » (donc 2e édition) et bénéficie d’un copyright en propre…).

Comment remplir ses paniers de fruits livres bien frais ?

Malheureusement, je n’ai pas de réponse miracle, mais seulement quelques petites remarques qui peuvent éventuellement permettre, peut-être, dans certains cas, et avec de la chance, d’éviter d’acheter un livre non actualisé. Bien sûr il m’est arrivé plus d’une fois de regretter des achats ou de commettre des bourdes, mais souvent en raison de la précipitation.

Pour mes acquisitions, je n’utilise pas du tout Livres Hebdo, mais uniquement des alertes Electre (j’en reparlerai bientôt car le site vient d’évoluer ce lundi) correspondant à mes secteurs d’acquisition.

Pour chaque titre de la liste générée chaque semaine par cette alerte, j’ouvre la notice, et je me méfie particulièrement de celles où figurent des mentions du type « réimpression » ou « nouvelle présentation », ainsi que celles comportant un ISBN 10 en plus de l’ISBN 13. Je me méfie moyennement de toutes les notices indiquant « nouvelle édition », « 2e édition », etc. sans autre précision. Enfin, je ne me méfie pas spécialement lorsque je lis « 2e édition revue et/ou corrigée et/ou augmentée » (si l’éditeur donne cette précision à tort, alors c’est vraiment de la malhonnêteté, mais je n’ai jamais été confronté à ce cas).

Qu’implique cette méfiance accrue ? Tout d’abord de vérifier si nous n’avons pas déjà ce titre, y compris dans une version précédente. Pour le savoir en clin d’oeil, j’ai comme l’expliquait Lully dans ce billet, configuré Electre pour qu’à coté de chaque ISBN figure un lien pointant vers le SUDOC. Mais je le recherche également par titre dans le SUDOC, puis dans notre OPAC.

Je note qu’ayant récemment installé le plug-in Libx du SUDOC, les ISBN sont devenus directement cliquables dans Electre, ce qui simplifie encore l’opération (Du coup, le plus logique serait de reparamétrer le « lien OPAC » d’Electre pour qu’il pointe vers notre propre OPAC, afin d’avoir sur la même page un lien vers le SUDOC et vers notre OPAC)

S’il s’agit d’un ouvrage noté « réimpression », « autre tirage » dans Electre et que le nombre de page correspond à une édition précédente que nous avons déjà, pas de pitié, il disparaît de ma liste de titres à traiter (sauf si nos exemplaires sont très consultés, mais il s’agit alors d’un réassort reconnu comme tel). Idem pour une « nouvelle présentation », qui n’implique pas de changements dans le texte, mais éventuellement une repagination (en cas de doute, il peut être utile de consulter la table des matières dans Electre et de la comparer à notre ouvrage, ou d’aller sur le site de l’éditeur, ou dans le SUDOC).

Voila par exemple un ouvrage – pris au hasard… – que je n’aurais sans doute pas acheté, en raison de la mention « Réimpr. », étant donné que nous avions déjà un précédent tirage dans notre catalogue.

Voici maintenant le cas d’une « nouvelle présentation » d’un contenu datant de 1996, réédité en 2000 avec un nouvel ISBN. Le site de l’éditeur nous le confirme, puisque ce titre y est carrément daté de 1996.

Pour un ouvrage qualifié de « n-ième édition », sans autre précision, le cas est plus délicat. On peut là encore comparer la pagination, consulter la table des matières quand elle est disponible sur Electre, aller sur le site de l’éditeur. C’est  là que l’expérience joue le plus : à force d’acheter des livres des PUF, on finit par savoir que chez cet éditeur, une modification du texte sera signalée par une « n-ième édition revue, corrigée, ou mise à jour », et qu’une simple « n-ième édition » n’apportera rien de nouveau. En absence de certitude, il m’est arrivé d’acheter un exemplaire unique (au lieu de 4 ou 5) d’une présumée nouvelle édition d’un manuel, et, une fois la réception faite, de la comparer livre en main, aux éditions précédentes. Par exemple, pour la dernière « réédition » de Réussir son 1er cycle de psychologie chez Studyrama.

Voici un dernier exemple qui ne peut qu’inciter à la prudence : j’étais persuadé, en voyant la notice de la 2e édition des névroses dans la collection 128, qu’il s’agissait d’une fausse réimpression. D’ailleurs, la notice du SUDOC ne mentionne rien de particulier. Mais – surprise – le site de l’éditeur précise que cette édition a été « totalement refondue ». Je n’ai pas eu l’ouvrage entre les mains, mais je suppose que cette précision capitale ne figure pas sur la couverture ni dans les premières pages, sinon elle aurait déjà été ajoutée dans le SUDOC entre crochets.

Et si j’ajoutais une note dans le SUDOC signalant la mise à jour ? Et dans le cas des fausses réimpressions, si je les signalais aussi dans le SUDOC, ne serait-ce pas utile pour les lecteurs, et pour des collègues qui hésiteraient à acheter un titre ?

La réponse au prochain épisode…

4 comments to la mise à jour se fait attendre, l’éditeur se fait du blé, et le bibliothécaire se fait avoir (2)

  • Excellent billet qui montre bien que l’argument qui avait été donné par certains bibliothécaires à propos de « la recherche documentaire » (réimprimé sans mise à jour, voir ce billet : http://www.bibliobsession.net/2010/05/25/le-livre-la-recherche-documentaire-chez-nathan-symbole-de-la-derive-commerciale-de-ledition/) prétextant qu’ils n’avaient pas eu le livre en main à la commande n’est pas recevable puisque c’était bien marqué « réimpr » dans Electre !

    Sinon il serait intéressant de créer un petit « script de vigilance » (greasemonkey sur electre) qui reprend ces critères avec, par exemple l’ajout d’un code couleur avec un picto à la notice (rouge = vigilance forte, orange = attention à vérifier).

    Au fait, Nathan vient de retirer de la vente le livre « la recherche documentaire » suite à mon billet 😀
    infos ici : http://ow.ly/26ccN

    • vingtseptpointsept

      Oui j’ai vu pour Nathan. C’est bizarre, le représentant de l’éditeur parle d’un 3e auteur, qui n’a jamais été mentionné dans les différentes réimpressions.
      Au passage, je suis bien content d’avoir enrichi mon vocabulaire de ce délicieux « recouverturage… »
      Je serais curieux de connaître dans le détail le circuit de l’information qui a leur a permis de découvrir la « fronde » des bibs après plusieurs semaines, mais je pense que leur réaction est « globalement positive », malgré peut être une pointe de mauvaise foi. C’est la 1re fois dans ma courte carrière de bib que je vois un éditeur retirer un titre à la demande de bibliothécaires. Cela prouve que si nous nous organisons et si nous communiquons clairement sur les points qui fâchent, nous pouvons être entendus!
      (je reposte le commentaire sur le billet de bibliobsession)

  • vingtseptpointsept

    Je m’étais moi-même un peu emballé dans le précédent billet, donc restons diplomates avec les éditeurs, sans qui nous aurions bien du mal à travailler… La qualification de publicité mensongère est sans doute trop forte dans la plupart des cas, mais disons que sur le point précis des nouveaux ISBN attribués à des retirages, cette pratique est clairement déconseillée par l’agence de l’ISBN. Mais les éditeurs en ont-ils simplement conscience? On pourrait donc imaginer pour commencer qu’un organisme représentatif (l’ABF ?) fasse un communiqué sur le sujet, ou aborde le problème avec les représentants du monde de l’édition.
    Enfin, on peut rêver…

  • Merci !
    C’est exactement le post que j’attendais depuis 3 ans que je suis dans le circuit « des acq. » en bibliothèques.
    Beaucoup de précisions qui me sont utiles et de pistes de solutions (précision – … – : je n’ai pas de formation de bibliothécaire et affiliés).
    Personnellement, je trouve totalement honteux les pratiques de certains éditeurs concernant l’attribution de nouveaux isbn à de simples réimpressions à peine remaniées-customisées. Nous serions en droit de faire des procès pour publicité mensongère.
    Une solution, si nous avions le temps, serait d’éplucher les ouvrages douteux une fois sortis des cartons en début de circuit (…du livre, après recéption) et de retourner systématiquement aux libraires les volumes. Travail titanesque mais qui en quelque mois calmerait toute la l’industrie du livre (il faudrait se coordonner à l’échelle de la francophonie par exemple). Des opérations ciblées éditeur par éditeur serait un premier pas. Se coordonner..on peut toujours rêver.

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